Event 12: Porter la Croix

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C'était fait. Les shitaï étaient sur le bateau, en partance pour la côte. Ne restait plus qu'à réunir les troupes et quitter l'île, avec fierté et panache. Enfin, pour Trente, il restait un point d'ombre : Nadie. Xolotl ne l'appréciait guère, mais elle était d'une utilité relative. Au moins une qui était plus ou moins acquise à sa cause. Mais en l'état, la chercher dans ce bourbier était hors de question : Sarah Keleth devait reprendre le large avec ses petits camarades pour rester crédible jusqu'au bout.

" Tant pis pour elle, on ne peut pas attendre indéfiniment. Si elle est toujours en vie, elle se débrouillera pour s'échapper d'ici. "

Helmet acquiesça, trop heureux d'en finir avec cette mission dangereuse. Peu pressé de se mêler au groupe hétéroclite cependant, il resta à bord du navire, à attendre que les troupes de Mortimer daigne revenir à bord en compagnie de la police. Sur les quais, on donnait la priorité aux soins des blessés et aux forces des petits héros du jour. Un certain nombre de dresseurs désiraient rentrer par leur propre moyen, quand ils ne demandaient pas à rester sur l'île pour leur bénéfice personnel, même en dépit des dangers. Quel manque de professionnalisme, pensa Trente, sarcastique, en regardant les quidam grignoter des sandwich comme s'il s'était agi d'un pique-nique entre amis. Néanmoins, l'infiltrée ne se priva pas du spectacle des Galaxy attrapés menottés et renfrognés, emmenés de force avec les shitaï. Xolotl mordit dans sa tranche de pain avec un rictus sardonique à l'adresse des prisonniers.

Toute cette histoire, avait, Trente l'admettait volontiers, un sel tout particulier.

Le bateau avait finalement quitté l'île, maintenant encerclée par quelques patrouilles maritimes. Les troupes à bord, fatiguées et bercées par le remous de la mer, se laissaient aller à moins de rigueur professionnelle - tout le monde bavassait.

" On s'en est plutôt bien sorti, nan ?

-La ferme. Reste tranquille jusqu'à cette nuit et on verra. "

Le jeune Rocket déglutit, surpris et intimidé. Trente lui enfonça brusquement son couvre-chef sur les yeux et continua son chemin vers les cales du bateau, alors qu'autour d'eux, ceux qui avaient embarqués débriefaient avec une gaieté presque insolente sur cette mission. Profitant de la brise marine, Sarah-Trente regagna le pont, où tous les policiers prenaient à présent du bon temps, discutant de leurs exploits respectifs sans grande humilité. Lorsque la silhouette menue apparut entre les rangs, certains n'hésitèrent pas à applaudir. Les camarades de Keleth furent les premiers à noter l'amélioration impressionnante de ses capacités - et lui demandaient déjà quelques conseils pour dresser leurs propres Pokémon en vue de nouvelles opérations. Avec un salut militaire un peu gauche, Sarah-Trente prit néanmoins le temps de demander une faveur à son supérieur : elle souhaitait avoir le temps de s'assurer que les Pokémon récupérés seraient cette fois en sécurité, et se portait volontaire pour le premier tour de garde en attendant que les Shitaï soient remis aux autorités compétentes. Quoiqu'un peu surpris par la demande, l'homme aux tempes grisonnantes n'y vit aucune objection. Pas après une réussite aussi éclatante - qui annonçait une sympathique beuverie une fois revenu à bon port...
C'était donc noté : le binôme se voyait confié la charge du tour de garde nocturne au port. Ils seraient relayés à trois heures du matin.

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Il avait fallu accompagner tout ce petit monde à gauche et à droite, faire quelques garde-à-vous, prendre un verre - ou plutôt le faire prendre aux plantes vertes disponibles - et finalement, se retrouver en un étrange tête à tête avec le grand blond un peu pompette. Ce tour de garde s'annonçait mouvementé. Mais Trente avait hâte : hâte d'en avoir fini avec ces maudites cages, hâte d'enlever cette perruque qui commençait à gratter et cet uniforme étriqué. Visiblement, le compagnon de Sarah avait une vision très personnelle du tour de garde. Malheureusement pour ce quidam, dans l'esprit de Trente, il n'était qu'un dommage collatéral. Il avait fait son temps, et personne n'aurait jamais son témoignage. Une fois l'objet de sa convoitise récupéré, et son lourd binôme stocké avec le reste des shitaï, Xolotl lança le signal à l'équipe de récupération, dont les membres avaient patiemment poireauté des heures dans les cabines de deux vieilles camionnettes grises anonymes.

" J'ai la clef. Dès que les derniers flics auront regagné le commissariat, on se magne le derche pour vider cette fichue cale ! "

En file indienne, les sbires pénétrèrent dans le bateau, silencieux.

Ils y étaient. L'adrénaline avait grimpé le long de son échine comme un serpent enflammé. Le temps défilait à toute allure, et il fallait encore endormir tout ces prisonniers beuglant, histoire de ne pas rameuter la ville tout entière quand les camionnettes quitteraient les faubourgs. D'un geste autoritaire, Xolotl dirigea ses compagnons, jetant un œil de droite et de gauche par prudence.

" Allez, go ! Tout doit avoir disparu dans un quart d'heure ! Soporifik, à toi de jouer. "

Le Pokémon de Trente, intrigué par ce manège inhabituel, ne se fit pourtant pas prier quand il fallut hypnotiser les cadavres en furie : l'idée de pouvoir glaner quelques cauchemars bien gras au passage n'était pas pour lui déplaire. Dans le noir, armés de leurs lampes torches et de leurs gants, les Rockets commencèrent leur besogne. Déplacer les cages en silence n'était pas une mince affaire. Certaines d'entre elles pesaient près d'une centaine de kilos, et il fallait être quatre pour espérer la transbahuter. Devant l'ampleur de la tâche et la faiblesse des moyens, Trente n'eut d'autre choix que de renoncer à vider la cale. Ils ne repartirent qu'avec ce qu'ils avaient effectivement pu sortir du bateau sans alerter les sentinelles des quais voisins.

" Dispersion ! "

Dans un crissement de pneus, les deux estafettes quittèrent leur stationnement en trombe, slalomant sur les quais entre les entrepôts, jusqu'à sortir de la ville, disparaissant dans la nuit avec leur butin.

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" J'dois bien l'avouer, t'as du culot. J'sais pas si c'est une bonne chose, mais en tout cas... ça rapporte. "

Ben regardait les cages entassées dans le souterrain avec une moue satisfaite. Oh, bien sûr... flatter l'encolure du jeune poulain ne lui coûtait rien, et il allait également s'empresser de se faire mousser auprès de sa hiérarchie. Hors de question que la tête blonde le double : c'était lui le chef de cette planque, c'était lui qui allait ramasser les laurier. Point barre.

" Je te signale que si tu avais donné plus de moyens à cette mission, on aurait été bien plus que trois pour transbahuter tout ce bordel ! "

En face, les babines dégoulinantes de bave et de pus hurlaient leur frustration. Les shitaï s'étaient réveillés et s'attaquaient avec une violence redoublée aux barreaux. Dans leur ligne de mire, les deux silhouettes humaines qui les observaient en discutant. Le ton agressif fit soudain monter la tension d'un cran. L'excitation gagnait les rangs, la folie rageuse demandait du sang.

" On en a déjà parlé ! Tu sais très bien qu'avec ! Et si tu veux vraiment , va falloir faire beaucoup - beaucoup mieux que ça ! Alors arrête de chouiner et retourne monter la garde : t'es de corvée, la recrue ! "

Ben tourna les talons, clope au bec et regard noir. Un soupir plus tard, l'avorton récalcitrant n'existait plus dans son champ de vision. Mentalement, il en était déjà à son prochain verre. Dans la pénombre, le regard translucide de Trente suivit sa nuque effacée par les jeux de lumière, trop fixe, trop acéré pour n'être qu'innocence. Derrière le masque pâle, la machine à penser était en marche.

Ce n'était pas comme s'il-elle ne s'y était pas attendu, de toute façon. Ben n'était qu'un vulgaire repris de justice pour délits mineurs, imbus de sa personne au point de croire que sa carrure de déménageur suffisait à en faire un objet de crainte.

Xolotl glissa ses doigts jusqu'à la crosse de l'arme de Sarah, toujours attachée à sa ceinture. Il aurait été facile et rapide de viser ce dos aussi large que le couloir, même avec peu de luminosité. Mais... mais il y avait des manières autrement plus "percutantes" de faire un exemple. Alors, avec une lenteur calculée, Trente contourna la première cage, se fondit avec volupté contre le mur. Le pistolet en main, l'androgyne visa le cadenas en acier qui maintenait péniblement la porte de la prison grillagée. Il ne fallut qu'un souffle pour que la première mâchoire claque en dehors des grilles, surprise que cette fois, les barreaux aient bien voulu céder. Hébétés, les Shitaï finirent par comprendre ce qu'il venait de se passer : la voie devant eux était libre.

A table.

Comme une vague noire folle et aveugle, la meute de Dynavolts libérés se précipita en avant, ivre de liberté. Droit sur Ben, qui se retournait décidément bien trop lentement pour comprendre d'où sortait ce coup de feu.