Event 11: Des loups et des hommes.

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Si le déterminisme avait été la règle du monde, sans doute Trente Xolotl en aurait-il/elle été l'un des maîtres. Heureusement pour le genre humain, tel n'était pas le cas, et il fallut qu'un autre s’interposât par la force pour que la malveillante machine fut obligée de revoir ses équations à la hâte.

Le gamin avait fait appel à un autre de ses Pokémon, lequel faisait, au sens littéral, "le poids", face au petit gabarit qu'était Trente. La majeure partie du choc fut encaissé par la toile de Migalos, lancée à la rescousse de son nouveau maître - mais l'improvisation ne suffit pas à empêcher l'humaine de valdinguer à deux bons mètres de son otage. Un temps, l'araignée un peu pataude craignit de se retrouver sans dresseur. Quand, avec une certaine surprise, elle vit la silhouette à la robe effectuer une drôle de pirouette pour se remettre sur ses deux jambes. Xolotl n'aimait pas dévoiler ainsi ses cartes, mais avait-elle eu le choix ? Cette fois, la partie lui échappait beaucoup trop à son goût. Cela faisait bien des années qu'une telle situation n'était pas advenue dans sa vie. Peut-être, pensa le nouveau Rocket, qu'il était temps de repenser certains paradigmes. Après avoir, semblait-il, mis leur ennemi hors d'état de nuire, le groupe d'otage s'était précipité sur ce qu'il restait du garçonnet.

Il aurait été si facile de mettre fin à cette pauvre et maigre existence... Il aurait suffi, oui, de cette seconde de distraction, de cet espace offert à l'exploitation de son adresse au tir, pour que cette lame qui saillait encore entre ses doigts blafards aillent se ficher dans cette nuque blonde droit devant. Pourquoi, alors, avoir révisé son jugement ? Le calcul était-il faux ? Certainement pas par l'action d'une quelconque morale. Frapper dans le dos était encore l'un des meilleurs moyens de parvenir à ses fins avec un taux de réussite impressionnant. Non : Trente avait plus d'intelligence que ne le laissait supposer cette démonstration de violence gratuite. Avantage ou inconvénient, toujours était-il qu'une situation périlleuse l'était encore davantage pour un esprit alerte. Être premier d'une promotion d'une école ne signifiait pas pour autant avoir le niveau pour se défaire de Pokémon vengeurs à cinq contre un.

" C'est ça. Continue donc de croire que tu es un héro. La vie te rattrapera bien assez vite. "

Trente ricanait sans joie pour elle-même en s'éloignant avec la rapidité et la souplesse d'un Persian. Elle avait perdu l'otage, mais cela ne servait hélas plus à grand chose. Tout au plus, Trente avait-elle désormais une indicible envie de meurtre envers ce qu'elle considérait comme un facteur dispersif imprévu. En d'autres termes : une nuisance à éliminer. Mais l'heure n'était pas - pas encore - aux nouvelles planifications. Elle était plutôt à tenter de sauver ce qui pouvait encore l'être d'un plan voulu génial, exécuté d'une manière pitoyable par des élèves de maternelle inconscients de la moindre des règles de l'art. Pathétique, aurait dit Trente, s'il-elle avait seulement pu comprendre réellement ce qu'un tel mot signifiait. Ce qui n'était pas le cas.

" Bon. Phase suivante : où est passé ce fion de Ramoloss ?! On doit bien avoir une demi-heure de retard avec ces âneries...! "

Un bruit de moteur mit fin à son attente : enfin, l'imbécile heureux qu'elle avait désigné pour le job daignait se rendre utile ! La tâche était pourtant des plus basiques : rapporter le camion-benne des jardiniers du parc à l'endroit indiqué : c'était le signe de ralliement et le début de la fin. Il était temps d'embarquer les Pokémon volés sous d'autres cieux, dans le pur respect de la tradition Rocket.

" T'en as mis du temps ! Allez, on se magne le train ! "

Le sbire grogna, peu amène et visiblement stressé. La benne n'était malheureusement qu'à moitié pleine. Loin, très loin de ce qu'ils avaient planifié. Mais désormais, le temps était compté. Plus question de s'attarder sur les détails : il fallait tout charger, en vitesse, et détaller avec le butin, avant l'arrivée des renforts. Trente s'assura que ses camarades allaient suivre les indications sans diverger, avant de prendre la tangente : il lui fallait tout d'abord se débarrasser de ce déguisement devenu encombrant. Après avoir traversé quelques allées, l'humain trouva ce qu'il-elle était venu chercher. Un autre larbin, ou plutôt une larbine, juste assez grande pour ne pas flotter dans la belle robe bleue ciel maculée de rouge que Xolotl venait de quitter - afin de reprendre son anonyme uniforme noir.

" Tiens : tu veux une tenue de princesse ? Mets-ça et sors par devant avec les autres !

-Hein ?! Mais...pourquoi ?! J'étais sensée rester là moi !

-Ordre du chef, miss. Dépêche-toi, ça va bientôt barder ! "

Le mot "ordre" eut tôt fait de décider la donzelle à récupérer l'étrange accoutrement de Trente et à le revêtir avec toute la naïveté du monde. Xolotl eut un vague sourire narquois, qui pouvait bien passer pour un "ça te va super, lol", avant de disparaître par l'allée opposée. Une fois éloigné-e du dernier groupe, Trente fit apparaître Mag'. D'un bond preste et souple, la recrue grimpa sur son destrier improvisé, les pieds calés dans les aimants du Magnéti. Le couple étrange s'éleva en silence au-dessus du sol, puis de plus en plus haut, jusqu'à la cimes des arbres qui décoraient le parc. Depuis son poste d'observation, Trente vit les policiers déferler par l'entrée tels une volée de Piafabecs enragés. Les instigateurs de l'opération avait fait la seule chose sensée aux yeux de Trente : ils avaient abandonnés sur place les recrues assez stupides ou pas assez rapides pour s'être massées aux portes des hélicoptères. Moutons sacrifiés qui ne tardèrent pas à l'être pour de bon, sous le regard hivernal de Xolotl, parfaitement insensible à tant de détresse humaine.

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Trente était sauf, ce qui n'était pas le cas de bien des sbires. Sauf, mais furieux-se, comme rarement dans sa courte existence de phénomène anormal. Si l'on voulait trouver une explication aux retentissants échecs de la Team Rocket par le passé, il n'y avait plus qu'à se servir : un ramassis d'idiots, tous plus bêtes et incapables les uns que les autres. Fallait-il que Giovanni et ses lèches-bottes n'aient vraiment plus rien à perdre pour sous-traiter leurs affaires de la sorte, pensait Trente en replaçant sa casquette noire sur ses cheveux platines impeccablement lissés. Cette soirée devait être un triomphe : elle se terminait en vaste rigolade. A peine la police avait-elle eu à souffrir de leur traquenard : qui avait préparé les explosifs ? Soit des incapables, soit des saboteurs. Sans doute ne le saurait-il/elle jamais, et cela l'indifférait totalement. Seuls comptaient les résultats. Médiocres.

Comment en étaient-ils arrivés là ? Trente avait toute la nuit pour y repenser. En attendant, inutile de préciser que l'échec n'allait pas être sien. L'androgyne jeta un regard torve aux ciseaux toujours dans sa main droite : ses pauvres nerfs n'allaient pas supporter longtemps une telle adrénaline. Quelque chose : il lui fallait quelque chose pour décharger ce fardeau insupportable, cet obstacle à son habituelle lucidité, pour qu'à nouveau, ronronnent gentiment les rouages dociles de sa mécanique intelligence... A quelques pas de là, l'un des derniers rescapés de l'assaut final finissait de décharger le maigre butin dans la planque. Il ne vit pas l'éclat blafard de la lame argenté qui dansait dans le dos de son sinistre acolyte :

" Quoi ? Un problème ?

-Il semblerait. Mais ne t'en fais pas : il va très vite être réglé. "

Trente Xolotl n'échouait pas. Jamais : il n'y avait qu'un seul échec dans une vie, et il était définitif.