Le chant de la sirène

Après l'interview, tu avais profité du restaurant offert, pour toi et ta compagne. Le genre d'endroit où vous ne seriez jamais allées en temps normal, trop luxueux pour vos moyens. Comme tu t'en doutais, Solange était encore plus enthousiaste que toi pour cette histoire de film. Ça allait demander des ajustements à la pension le temps du tournage, mais à force, vous aviez l'habitude. Une fois Leo bien habitué à son travail, vous songiez à prendre un second employé, plus expérimenté cette fois.

Il avait fallu repousser plusieurs fois des curieux venus te poser des questions pendant le repas. Si tu étais contente que ta célébrité augmente le business de la pension, ça n'avait pas que des bons côtés. Ceux qui te reconnaissaient manquaient parfois au respect de ta vie privée, si bien que Ellen empêchait quiconque de s'approcher maintenant. La petite évoli savait se montrer féroce quand elle voulait.

Fatiguée par le voyage, et toute l'agitation autour de l'interview, ce ne fut pas ce soir-là que tu visita la ville. A la place, une soirée tranquille dans la chambre d'hôtel, durant laquelle tu t'endormis rapidement. Le lendemain, au réveil, tu constata que Milu s'était éclipsé pendant la nuit. Sûrement parti faire une balade de son côté, rien d'inquiétant. Tu avais l'habitude avec lui, il était intenable parfois. Ça ne t'empêcha pas de profiter du petit déjeuner.

La ville étant grande, il y avait beaucoup à visiter, vous n'auriez jamais le temps de tout faire en quelques jours. Et ni toi, ni Solange, n'aimait vraiment l'atmosphère étouffante de la capitale. Trop de monde et de hauts buildings. Tu finis par te poser avec elle au port, près de l'océan. L'endroit le plus calme de Volucité, tout de même parcouru de pas mal d'agitation.

-Je ne pensais pas que ce serait si fatiguant, vivement qu'on soit à Vaguelone.

-Tu l'as dit. Rien ne nous empêche d'écourter notre séjour ici cela dit.

Vous n'aviez, dans les faits, pas grand-chose à faire, maintenant que l'interview était passée. La ville n'était pas très loin de Ogoesse, y revenir serait facile. Vous pouviez très bien partir un peu plus tôt, même si ça signifiait négocier des jours en plus avec le propriétaire de la maison louée. Ce qui ne devrait pas poser problème, à cette période de l'année.

Beaucoup de gens faisaient des allées et venues sur le port, heureusement le quai était assez grand. Au milieu de tout ça, tu fus surprise de voir débarquer un groupe d'une dizaine d'enfants, accompagnés par deux adultes. Ça ressemblait fortement à une sortie scolaire, avec une classe réduite. Mais du peu de conversation qui parvenait, tu compris que les adultes n'étaient pas professeurs, mais plus éducateurs.

Si les enfants ne faisaient pas vraiment attention à toi, l'un des accompagnateurs se détacha du groupe pour venir te parler. Visiblement ravi de te rencontrer. Tu empêcha Ellen de grogner, acceptant de discuter un peu avec lui. Il t'expliqua rapidement qu'il espérait que tu puisse servir un peu de modèle aux enfants, peut-être les encourager à travailler dur. Tu appris finalement que tous étaient orphelins, et vivaient au même foyer en attendant de trouver une famille.

Une situation qui te toucha beaucoup, au vu de ta propre situation familiale désastreuse. C'est ce qui te poussa à accepter la demande. Après tout, il s'agissait des motiver enfants déjà meurtris par la vie.

Tu n'avais pas vraiment l'âme d'une professeur, mais suffisamment de diplomatie pour t'en sortir. A vrai dire, tu parlais surtout avec le cœur et l'expérience, racontant un peu tes aventures aux enfants. Uniquement des choses qu'ils pouvaient entendre à leur âge, des histoires de concours ou de voyage. Ils avaient entre 5 et 10 ans, difficile de s'adapter à une fourchette aussi élevée. Dans l'ensemble, ils parurent tous captivés.

Ce fut finalement Solange qui prit le relais pour évoquer un peu son propre parcours, d'un point de vue d'éleveuse. Vous ne pouviez pas parler de métier que vous ne connaissiez pas, comme ranger ou médecin, mais les enfants avaient le temps de découvrir ça progressivement. Tandis qu'elle faisait sa présentation, tu te rapprocha d'une petite blonde, restée un peu à l'écart. Elle fredonnait tranquillement une mélodie qui t'était inconnue.

-C'est joli ce que tu chantes.

La petite ne réagit pas de suite, terminant de chantonner son morceau. Puis elle se tourna vers toi, avec un grand sourire sur le visage. Ravie qu'on s'intéresse à sa musique.

-Maman me l'a apprise. Mais c'est la chanson de la sirène. Elle me répond parfois, ou elle chante avec moi ici.

Une sirène ? C'était la première fois que tu entendais une chose pareille. Tu songea d'abord que c'était une façon de parler de sa mère, ou un autre membre de sa famille. La petite semblait néanmoins convaincue de ce qu'elle disait. Elle reprit un instant sa mélodie, avant de se stopper, comme si elle écoutait quelque chose. Puis elle hocha la tête.

-La sirène dit qu'elle veut te rencontrer. Si tu viens ici ce soir et que tu chantes aussi. Tu as de la chance, j'aimerais bien la revoir aussi.

Tu avais du mal à suivre, cependant l'assurance dans ses mots donnait envie de la croire. La petite fut rappelée par un éducateur avant que tu ne puisses répondre, et l'adulte s'approcha de toi.

-Je suis désolée, Maria est un peu étrange. On la soupçonne d'être surdouée, mais complètement dans son monde.

Une enfant différente, qualifiée de bizarre. Si même les encadrants l'appelaient ainsi, la pauvre allait avoir du mal à trouver une famille. Tu salua le groupe sur le départ, les mots de la petite toujours en tête. Ça ne coûtait rien d'essayer après tout.

-A quoi tu penses ? Tu as l'air dans la lune.

-La petite, Maria, elle a parlé d'une sirène. Je n'ai pas tout compris, mais j'ai envie de lui faire plaisir. Même si ça ne mène à rien, on pourra revenir ici dans la soirée ?

Personne ne devait l'écouter, pourtant elle t'avait paru tellement sérieuse. Au pire, tu risquais seulement d'assister à un beau coucher de soleil.

Il n'était même pas certain que tu revois Maria, mais tu comptais tout de même lui faire plaisir. Personne n'écoutait vraiment la pauvre enfant, considérant ses mots comme de simples illusions de gamin. Alors qu'elle parlait peut-être de choses réelles. Ça ne te coûtait rien, alors tu voulais au moins tenter. Mais ce n'était qu'en fin de journée, tu avais encore le temps de profiter de la ville avec ta compagne.

Volucité proposait de nombreuses activités, accessibles aux habitants comme aux touristes. Des petites enquêtes faites dans la rue - Solange répondit à une sur ses pokemon préférés. Tu ne voulais pas aller dans les grands magasins, vous n'aviez pas spécialement besoin de faire du shopping. On voyait souvent des danseurs se réunir sur les places pour offrir un spectacle, et ils méritaient bien une pièce pour la performance.

Le temps passa tranquillement, et Solange avait les pieds en compote le soir venu. Si bien qu'elle choisit de rester à l'hôtel pour se reposer, pendant que tu réalisais ton expérience. Milu était revenu entre temps, tout content de son escapade. Il semblait beaucoup plus enthousiaste que toi à l'idée de cette sortie au port. Au même endroit où tu avais parlé avec Maria. Ellen t'accompagnait également, bâillant allègrement.

Il n'y avait personne sur le quai, la vue sur le soleil couchant était magnifique. En revanche, rien de spécial ne se produisit. Aucune trace de la fameuse sirène mentionnée par la petite fille. De toute évidence, il s'agissait bien d'une fable. Pourtant, lorsque tu essaya de partir, ton mew t'en empêcha, te faisant léviter dans le sens inverse. Il voulait que tu restes là visiblement. A croire qu'il savait quelque chose.

Finalement, une idée te vint. Sans connaître vraiment la mélodie, tu te mis à fredonner maladroitement l'air chanté par l'enfant. C'était beaucoup moins beau venant de toi. Néanmoins, un écho parut s'ajouter à ton fredonnement, et continua même lorsque tu te stoppa. Une créature se tenait à présent sur le quai, juste à côté de toi, lévitant à même hauteur que Milu. Et lui paraissait enfin satisfait. Ce filou avait tout prévu.

L'étrange pokemon finit par arrêter de chanter, et vint danser tout autour de toi d'une façon joyeuse. Elle et ton mew semblaient parfaitement s'entendre, ce qui te confirma qu'ils se connaissaient. Milu t'aurait forcée à venir si tu n'avais pas pris l'initiative.

-C'est toi la sirène dont parlait Maria ? Alors tu existes vraiment ?

Qu'elle comprenne ou non tes paroles, le nom de Maria la fit réagir. La petite ne mentait pas, elle avait déjà vu cette créature, peut-être chanté avec elle. Comme sa mère avant elle, de ce que tu devinais de son histoire. Amusée et émerveillée de la scène, tu tira tout de même la joue à ton mew.

-Petit cachottier, tu étais parti la retrouver je parie.

Une amie de longue date, un pokemon rare également. Tu n'appris son nom que plus tard. Meloetta était une légende peu connue, à échelle locale, et surtout dans un cercle musicien. Sa mélodie inspirait de nombreux artistes disait-on, mais peu avaient eu la chance de la rencontrer. La jolie musique l'attirait, tout comme l'harmonie entre un dresseur et ses pokemon.

Tu soupçonnais Milu d'avoir arrangé cette rencontre, ne serait-ce que par fierté de te présenter une amie. La chanson de Meloetta avait quelque chose d'hypnotisant, de réconfortant. Elle était vraiment très belle, mais tu ne parvins pas à la fredonner avec elle. Maria n'avait pas eu la chance de la revoir depuis la mort de sa mère, selon ses dires. Pourquoi la créature ne voulait-elle plus venir ?

-Tu n'aimes pas Maria ? J'ai cru comprendre que tu lui parlais pourtant.

Elle secoua vivement la tête, avec un air aussi triste que paniqué. Sans réponse directe, elle te partagea cependant ses émotions, et tu compris. Meloetta avait été très proche de Anathea, presque sa dresseuse à cette époque. Alors voir sa fille lui était douloureux, surtout qu'elle ne pouvait rien faire pour cette enfant seule au monde.

-Ce serait justement important pour elle d'avoir une amie. Surtout qu'elle t'aime beaucoup aussi.

Une pensée tournait dans ton esprit depuis ta rencontre avec la petite. Cette enfant n'était pas faite pour rester dans un orphelinat, elle n'y était pas à sa place. Il lui fallait un environnement où s'épanouir, pour réaliser de grandes choses. Car tu en était intimement convaincue. Tu ne pouvais pas prendre de décision hâtive sur ça, surtout sans en parler à ta compagne, mais une idée folle traversa ta tête.

-Mais je peux peut-être faire quelque chose pour elle. Cette petite mérite bien mieux.

A peine ces mots prononcés, le regard de la sirène s'éclaira, et elle te prit les mains avec les siennes. Tu ressentais à travers ce contact toute sa gratitude, son espoir de voir Maria sortir de cette malheureuse situation. Bien sûr, tu ne pouvais rien promettre encore, pas sans en avoir parlé d'abord avec ta compagne. C'était une décision trop importante pour être prise seule.

Néanmoins, tu avais l'impression d'avoir une connexion spéciale avec cette enfant. Peut-être parce que son passé d'orpheline faisait écho à tes propres parents. Ils n'avaient jamais vraiment été de bons parents, et aujourd'hui ils ne faisaient plus partis de ta vie. Maria avait également perdu les siens, alors que sa famille était heureuse. Tu voulais lui donner une chance, comme tu aurais aimé avoir toi.

-Je ne peux pas te faire de promesse, et ça risque de prendre du temps, mais je vais au moins essayer.

Et avec cet espoir, Meloetta décida de rester à tes côtés, ne serait-ce que pour suivre la situation de Maria. Elle tenait sincèrement à elle, ça se voyait aisément. Ainsi, tu rentra donc à l'hôtel avec elle en plus, ton Mew ayant repris sa forme d'évoli. Solange fut surprise de te voir revenir accompagnée d'une nouvelle amie.

-C'est donc toi la fameuse sirène ? Tu es très jolie. Maintenant que je connais ton nom, je me souviens l'avoir déjà entendu dans un café en ville.

Ta compagne avait passé un certain temps seule à Volucité, le temps que tu te prépares pour l'interview. En se baladant, elle était tombée sur un tout petit café dans une ruelle, peu fréquenté, mais à l'ambiance agréable. Des musiciens s'y retrouvaient, et le nom de Meloetta tournait dans leur cercle. Une muse invisible pour la plupart.

Pour l'instant, tu ne mentionnais pas tes réflexions par rapport à Maria. Ces vacances devaient avant tout être du repos, de la détente, et du temps pour vous deux. Tu allais attendre quelques jours pour lui en parler. Le départ à Vaguelone était prévu dès le lendemain, à dos de pokemon, sinon le voyage prendrait trop de temps. Tandis que vous profitez de la soirée, Milu s'amusait avec Meloetta, ravi de retrouver une amie.