Colonel Soka

La vie est une épreuve. Elle commence par une terrible souffrance, nous impose de multiples combats et se termine par un cauchemars solitaire. Implacablement. Ce n'est pas beau de naître : cela se passe dans la douleur et la saleté le tout au milieu d'un danger de mort. Danger qui nous pourchasse tout au long de notre vie pour finalement nous prendre dans ses bras. Si la finalité de la vie c'est mourir, si vivre c'est endurer, pourquoi ne pas abréger nos souffrances rapidement ? Pourquoi s'infliger de telles épreuves encore, encore et encore ?
J'y ai beaucoup pensé lorsque j'étais sur un lit d’hôpital pokémon à la mort de mon dresseur et, quelques mois plus tard, après mon accident. Mourir pour me soulager. Mourir pour laver mes tourments. Mourir pour en finir. Mais j'ai promis... J'ai promis.

Mon père était un puissant Arcanin, ma mère une douce (mais redoutablement sauvage!) Lougaroc de forme diurne. Ils m'ont donnés les plus précieuses leçons de ma vie. Malgré tous les combats, ils m'ont enseignés l'amour, la plaisir de rire, la douceur d'une sieste au soleil, l'instant précieux d'un câlin avec sa mère, la joie du retour du père de sa journée de chasse...
Avec l'urbanisation, la pression toujours plus forte de l'humanité, les territoires des pokémon sauvages se font toujours plus petits. Les guerres de territoire sont plus fréquentes...Mes parents étaient en conflit avec la meute de Roublenard voisine qui louchait sur la grotte que ma mère avait choisit. La première attaque eut lieu dix jours après ma naissance, la seconde je n'avais pas encore trois semaines, la dernière je venais tout juste de fêter mon premier mois. J'appris la violence et la peur. Je fus contraint de fuir, pourchassé par deux renards. Mes parents me sauvèrent mais au prix de notre grotte : nous étions sans abri et cette nuit là, un orage éclata. Il se transforma en tempête qui devint ouragan. Ce fut sans aucun doute la pire nuit de ma vie. Le pelage trempé, le vent qui me faisait tomber, les arbres déracinés menaçants de nous écraser, les rivières, furieuses, débordants soudainement et nombreuses autres surprises. Quand on est bébé, nous pensons que nos parents sont éternels, immortels, surpuissants... Mais que sont-ils face à un glissement de terrain et une rivière en crue en plein milieu d'un ouragan ? L'eau m'emporta. Je luttais pour rester à la surface. Ma mère n'était déjà plus visible. Mon père était juste là, à quelques mètres, il se rapprochait de moi. La terreur dans le regard de mon père est la dernière image que j'ai de lui. Une vague m'emporta soudain, je coulais, percutais quelque chose et...

Je fus découvert blessé et quasiment noyé au milieu d'une montagne de débris que la rivière cracha aux abords d'un pont par la plus adorable des humaines que je connaisse. Elsa. Pas encore âgée, sa jeunesse n'était déjà plus qu'un souvenir à l'époque. J'étais dans ses bras lors de mon premier réveil, au second aussi. Puis c'est un homme, son fils, qui s'occupa de moi. Il ne me quitta pas durant des jours, me nourrissant au biberon puis petit bout par petit bout. Théo. Il s’appelait Théo. Mon Théo. J'étais certes jeune mais j'avais déjà une parfaite conscience de l'irrévocabilité de la mort. Mes parents étaient morts, ma survie était un miracle... Et je devais continuer de vivre, pour eux. Alors j'accompagnais Théo partout. Je n'avais plus rien, je n'avais plus que lui et Elsa. J'avais si peur qu'ils me relâchent, qu'ils me rendent à la nature. Alors je mis toutes mes forces à m'intégrer, à les imiter, à les comprendre. « Wonwou ». Incompréhensible ? C'est le premier mot humain que je prononçais : bonjour, wonwou. Je n'avais jamais rencontré de pokémon domestique et j'étais persuadé que ma seule et unique manière de rester avec eux c'était d'apprendre à parler comme eux. Je ne me posa pas une seule fois la question « est-ce possible? » : il fallait que j'y arrive ! Alors je travaillais. Chaque jour, chaque heure, chaque minute. Et un matin je réussi enfin à dire bonjour. Ce jour là, Théo m'accrocha un collier autour du cou. J'étais accepté, l'un des plus beau jour de ma vie.

Il était policier mon Théo. Il m'emmena avec lui en ville et mon apprentissage commença. Les bonnes manières avec les humains, la discipline, les ordres, les différents entraînements, la vie en communauté. Il faisait parti des chefs en étant lieutenant et m'accompagna m’entraîner avec les jeunes encore à l'école. Je voulais être le meilleur. Pour faire honneur à mes parents, pour qu'ils soient fiers de moi où qu'ils soient. Pour que Théo me garde auprès de lui.
En quelques mois, non seulement je me hissais au rang des meilleurs élèves de l'école mais je maîtrisais presque le langage humain. Je bombais le torse lors de la cérémonie qui m'intégra officiellement dans la police pokémon. Théo fut muté à Argenta et c'est là bas que je commençais ma carrière de policier. Lui en tant que lieutenant, moi en tant que bleu...

Entraînements, patrouille, entraînements, intervention urgente, entraînements, manger de temps en temps, entraînements... Durant longtemps, ma vie ne tourna plus qu'autours de la police. Jusqu'à ce que je découvre la joie de plonger la truffe dans la fourrure d'une femelle et tout ce que nous pouvons faire dans l'intimité, mais cela ne vous regarde pas. Je montais en grade petit à petit jusqu'au jour où je rejoignis mon Théo au grade de lieutenant pokémon. Notre vie devint assez routinière, autant que puisse l'être celle d'un policier, jusqu'au jour où un cambriolage de la Team Rocket du musée d'Argenta se transforma en prise d'otage. Théo mena les négociations pendant que je faisais le tour du bâtiment mais la communication fut coupée : le bandit prit la fuite avec le directeur du musée. Pas le temps d'appeler à l'aide : je le pourchassais, Théo sur mes talons. Le combat éclata au pied d'une falaise. C'était la première fois que je rencontrais un Shitai : un Ratatac. Ce fut terrifiant : je compris rapidement que je n'avais aucune chance. Mais alors qu'une charge du rat me jeta à terre, le rongeur se tourna vers Théo. Je n'oublierais jamais cet instant : mon humain bien aimé qui bascule au sol, son sang qui éclabousse la falaise dans la lumière du soleil couchant l'horizon. J'ai... Je ne sais pas ce qu'il s'est passé. L'instant d'avant j'étais un Rocabot vaincu, l'instant d'après j'étais un Lougaroc triomphant de mes ennemis.  
Nous fûmes qualifiés d'héroïques par nos supérieurs quand les otages furent évacués saints et saufs. La K9 arriva alors que tout était terminé et que je surveillais le bandit ligoté à l'entrée du bâtiment.
Un mois plus tard, Théo et moi intégrâmes le programme d'entraînement de la K9 quelque part au cœur du plateau indigo. Ce fut... Terriblement difficile ! L'instructeur ne nous fit aucun cadeau, il poussa jusqu'aux limites de la cruauté. Apprentissage de la survie en conditions réelles, entraînements au combat de très haut niveau, maîtrise parfaites des attaques exigée, contrôle de soi. Et puis j'évoluais « avec les grands » ! A Argenta, les femelles se battaient pour attirer mon attention mais ici j'étais le petit Rocabot ridicule, le petit bleu. « La vie est difficile mon fils. Bats toi, mords là. ». Je me retrouvais à l'infirmerie plus d'une fois, Théo aussi. J'échouais lamentablement tous les jours, j'étais brutalisé par les autres, les femelles se moquaient de moi. Mais je m'accrochais : lorsque je me réveillais à l'infirmerie, je quittais aussitôt ma chambre pour retourner à l'entraînement le plus souvent contre l'avis des médecins. Quand l'instructeur me hurlait dessus, j'encaissais puis je recommençais. Quand les autres me brutalisaient, je me battais pour leur tenir tête. Quand les femelles se moquaient de moi, je gardais la tête haute, les yeux secs et je passais mon chemin en m'efforçant de les ignorer. Et peu à peu, la balance s'inversa. Je gagnais ma place au sein de la K9 à coups de crocs, de griffes. Lieutenants Théo Montalenvers et Soka, unité spéciale K9, élite de la police...

Les missions les plus dangereuses, les plus complexes, les plus délicates. Elles sont toutes pour nous. Un hélicoptère rapide n'est jamais loin d'un membre de la K9. Affectés à Céladopole, à chaque jour sa patrouille comme lorsque j'étais à Argenta. Mais il ne se passait pas 48h sans que nous soyons appelés pour une mission spéciale. Quand les agents sont dépassés, quand il faut s'aventurer en territoire hostile, c'est la K9 qui est envoyée. Capitaine Soka. Commandant Soka. Lieutenait-colonel Soka. Colonel Soka. Petit à petit nous montâmes en grade jusqu'à faire parti des meilleurs de l'élite. À l'apogée, j'évoluais à un niveau largement supérieur à ceux des pokémon des champions d'arènes.Et puis il y eut les trois missions qui firent de moi une légende de la K9, les deux dernières détruisirent ma vie...

Il y a les grands événements de ce monde largement médiatisés... Et les drames qui restent dans l'ombre. C'était un matin d'Octobre, une aube fraîche mais pas encore gelée. Le biper de Théo sonna : un homme politique d'un pays étranger, quelqu'un de très important avait été kidnappé par la team rocket en Unys, menaçant de déclencher un très grave incident diplomatique. L'aide de la K9 fut demandée non loin de la ville de Flocombe. L'infiltration discrète sa passa bien. Nous éliminâmes assez facilement les quelques obstacles et libérèrent sans difficulté l'otage de sa prison dans les sous-sols du bâtiment. Mais un coup du sort nous frappa : un accident dans un laboratoire déclencha une alerte et nous fûmes repérés. Nous étions deux humains et deux pokémon avec un otage à protéger... Contre des dizaines. Notre homme fut contraint de faire rentrer son compagnon dans sa pokéball pour le sauver. Blessé, Théo chuta avec l'otage. Je ne réfléchis pas : je me jetais dans la mêlée. Ce geste les sauva mais je fus capturé. Je ne fus pas transformé en Shitai : un Colonel de la K9 est une source d'informations bien trop précieuse. Je connais un certain nombre de choses protégées par le secret défense, certaines particulièrement sensibles. C'est mon entraînement qui m'empêcha de parler, même quand... Théo revint en force pour me sauver mais je ne vous décrirais pas l'état dans lequel il me trouva : aux portes de la mort, deux mois d'hopital pokémon.

Le quotidien reprit son cours et c'est un peu plus d'une année plus tard que la pire catastrophe de ma vie se produisit. Lors d'une mission au cœur du mont Selenite, un piège fut tendu à la K9. Deux cents contre six.Voilà ce qui nous tomba dessus. Nous fûmes capturés naturellement. Nous fûmes torturés, chaque jour. Bientôt, je fus le seul pokémon encore en vie, l'autre devenu Shitai. Je n'oublierais jamais les hurlements de mon Théo, l'odeur de sa terreur inondant ma truffe bouchée par mon propre sang. Ils nous infligèrent des actes que je n'aurais jamais osé imaginer mais aucun de nous ne parla. Et puis la K9 nous retrouva... Mais pour se défendre, les Rocket lâchèrent une vague de Shitai qui, dans la panique, échappèrent à leur contrôle. Je vécu alors le pire instant de ma vie : pendu par les pattes, complètement impuissant, Théo fut déchiqueté par les Shitai sous mes yeux. Je me débattis, de toute mes forces mais je ne fis que m'infliger des blessures plus graves encore. Je hurlais à m'en briser les cordes vocales. Quand tout fut fini, que la K9 me décrocha, j'étais fou. Quelqu'un me prit dans ses bras, je la mordis et...

La cérémonie d'hommage pour Théo fut magnifique. Ils m'ont demandés de me tenir assis, au garde à vous, au premier rang de la foule. J'ai tenu... J'étais couvert de bandages, une loque vivante tel un Shitai, j'avais tout perdu et pourtant j'étais là, garde à vous. J'ai tenu... Jusqu'à ce que le cercueil touche le fond de ce trou de terre. Je suis tombé dans la tombe. Aucun journaliste n'osa me prendre en photo, immortaliser ce Lougaroc blessé pleurant à s'en briser le coeur sur le cercueil de son dresseur.

Six mois plus tard, j'avais ré-intégré la K9. Je fus envoyé à Doublonville et je participais aux patrouilles quotidiennes. « Bats toi mon fils. Relève toi et n'oublie jamais que tu dois vivre pour aimer et protéger les tiens. » J'avais encore Elsa (qui avait déménagé en Johto) et tous mes amis qui m'ont soutenus pendant cette épreuve. Keros, Lampo, Shabro... Mes amis. Et puis il y eut mon accident... C'était pourtant une mission de routine, rien de véritablement dangereux. Notre patrouille avait été appelé pour calmer un homme au centre pokémon. Son Psykokwak s'était fissuré le bec je ne sais trop comment, le dresseur avait simplement peur, sa crise était cependant un peu trop violente pour l'équipe médicale. Je l'ai accompagné au sein d'une salle pour qu'il puisse voir son pokémon. Il y avait un Electrode et un Alakazam au sein de celle ci et un orage à l'extérieur. Les éclairs agitaient l'Electrode quand le tonnerre provoqua une migraine chez le Psykokwak. Soudain la foudre frappa le centre pokémon : l'évacuation fut ordonnée ! Mais ce fut trop tard pour nous : l'alarme, la panique, le tonnerre, les éclairs, les lumières clignotantes et sa blessure au bec... La migraine du Psykokwak s'intensifia de manière alarmante ! Je dégageais l'humain de force par une fenêtre  puis je sautais sur le brancard de l'Alakazam pour l'aider à se lever mais... Comment expliquer ? Le choc mental du Psykokwak nous balaya tous les trois déclenchant une puissante psyko de l'Alakazam qui me frappa de plein fouet. Je subis non seulement un choc mental et une psyko … Mais également l'explosion de l'Electrode... et l'effondrement du bâtiment. Je fus le seul survivant de la pièce. Enfin survivant... Je fus réanimé quatre fois, je passais vingt huit heures sur la table d'opération, plusieurs semaines dans le coma, plusieurs mois à l’hôpital pokémon.

Lorsque, enfin, on me laissa sortir, j'avais tout perdu. Oui cette fois j'avais tout perdu. Je pouvais à peine marcher, broyer un os avec ma mâchoire n'était qu'un rêve. Lame de roc, queue de fer, croc éclair... Je ne savais plus faire. J'étais devenu faible. Je plongeais dans une profonde dépression. Je fus recueilli par Elsa et entouré de mes amis. Mais je n'étais plus rien. J'ai perdu mon Théo, je ne suis plus digne de faire parti de la K9... J'avais même honte de me présenter devant la belle Lina, la superbe Grahyena de Lampo.

« La vie est difficile mon fils. Tu souffriras, elle te jettera à terre. Mords là, bats toi, relève toi et n'oublie jamais que tu dois vivre pour aimer et protéger les tiens. » Papa...
« L'outil qui te sera le plus utile dans la vie c'est la connaissance. L'amour est ce que tu auras de plus précieux et n'oublie pas de rire chaque jour. » Maman...

Alors je dois me relever. Je dois vivre, me ré-éduquer pour redevenir puissant et les protéger. J'ai un long chemin à parcourir...  Je vais souvent à la gare de Doublonville. Le personnel de la gare m'a adopté, s'occupe de moi. Je prends le train gratuitement, souvent : je vais à Argenta sur la tombe de Théo. Je suis accueillis par le musée d'Argenta à chaque visite comme faisant de la famille. Les commissariats et autres casernes de police m'offrent également un bel accueil. Je ne suis plus apte au service mais je reste le Colonel Soka, légende de la K9. C'est très étrange comme situation... Je ne suis pas sauvage mais je ne suis pas domestique non plus...